THE INTERVIEW

July, 2023

MICKAEL PERRET

DIRECTOR OF NATURA

BEST FEATURE

Mickael, parlez-nous un peu plus de vous. D’où vient votre désir d’être réalisateur ?

Depuis toujours. Je suis passionné de cinéma depuis tout petit. Vers l’âge de 8 ans je filmais déjà mes petites figurines « G.I Joe » en action avec le caméscope de mes parents, puis à l’adolescence je tournais mes premiers courts-métrages amateurs en « tourné-monté », c’est à dire en tournant tous les plans dans la continuité du récit (et dans l’ordre chronologique), sans que le film ait besoin d’être monté par la suite… 

J’ai cette pulsion de réalisation, ce besoin viscéral de création et de mise en scène depuis mon plus jeune âge, et c’est toujours ce que j’ai voulu faire.

Des cinéastes tels que Kubrick, Polanski, Carpenter, Cronenberg, Fincher ou les productions de la Hammer m'ont énormément influencé lorsque j'étais enfant et durant mon adolescence. J'ai grandi avec leurs films et ces films m’ont fait grandir aussi.

Quel est votre parcours ?

Je suis totalement autodidacte, « un pur produit des HLM de la banlieue parisienne ». Côté cursus scolaire, j’ai interrompu mon parcours après le collège afin de faire un stage de 7 mois dans l’audiovisuel (au sein de l’hippodrome de Paris-Vincennes) où je maniais les caméras lors des courses hippiques. J’ai par la suite créé mon association «  Furious Films  » pour me permettre de réaliser des courts-métrages un peu plus professionnels, mais toujours produits avec mes économies personnelles (je les finançais grâce à divers emplois à mi temps). Enfin, je me suis spécialisé dans la location de caméras de cinéma, de lumières avec chefs opérateurs et autres techniciens (pour le cinéma, la pub, les clips), proposant à mes clients (les boites de prod), un service complet (à petit prix) pour leurs projets. Durant ce fonctionnement, j’ai systématiquement refusé la réalisation de projets de clips ou de pubs qu’on me proposait personnellement, préférant me consacrer uniquement à mes projets personnels, développant mon propre univers.

Quelles ont été vos références pour Natura ?

Ma première référence pour Natura est un court-métrage intitulé «  Phase Finale  » que j’ai réalisé lorsque j’étais adolescent. L’histoire d’un soldat allemand, blessé, fuyant à l’intérieur d’une forêt (durant la fin de la seconde guerre mondiale), finissant par se suicider par désespoir au milieu des bois… D’ailleurs, le titre initial de Natura était Phase Finale, en référence à ce court-métrage.

Vous parvenez à mettre en valeur la forêt et sa lumière d’une manière très particulière et poétique, pouvez-vous nous expliquer votre mode de travail et le matériel utilisé ?

Les forêts sont pour moi une source d’inspiration (j’ai la chance d’habiter dans les Yvelines, région recouverte par 30% de forêts et de végétation, où je passe énormément de temps à parcourir les chemins forestiers, à photographier les arbres), mais la beauté des forêts vosgiennes est autrement plus spectaculaire : je souhaitais un rendu très naturaliste pour le film, quelque chose de simple et beau (un métrage où la forêt est la véritable héroïne du récit). Il y a également un travail important au niveau de la post-prod pour mettre cela en valeur : Il faut se munir de patience et savoir laisser «  maturer  » le film au moment du montage, le peaufiner lentement, prendre du recul, y revenir, afin que le rythme permette la sublimation des paysages. Le film a majoritairement été tourné en lumière naturelle, nous avons utilisé la Red Weapon Helium 8K avec des optiques Zeiss CP2 + un adaptateur anamorphique Letus (pour un rendu davantage cinéma) et casser un peu l’aspect clinique et trop propre des CP2. Le ratio unique de l’image (3:30), participe également à la valorisation des paysages. Pour moi, le cinéma c’est rectangle.

Vous avez remporté le prix du meilleur long métrage aux RED Movie Awards, qu’est-ce que cela symbolise pour vous ? 

C’est ma première récompense en France et j’en suis particulièrement fier. Après ces années d’acharnement, cela m’honore que mon travail (et celui de mon équipe) soit salué. Merci beaucoup ! Je suis impatient d’assister à la cérémonie annuelle pour concourir avec les lauréats de cette année.

Pouvez-vous nous parler de votre méthode de production, faire un film de 60min autoproduit doit être très compliqué, est-ce par choix ?

Réaliser un long-métrage (un peu ambitieux et autoproduit) avec seulement 30 000 €, c’est un véritable périple. De l’écriture au tout début, jusqu’à la fin de post-prod, cela représente 7 années de ma vie, à présent, ainsi que toutes mes ressources financières (encore aujourd’hui), mes économies, ma santé mentale, ma vie privée. Tant que le métrage n’est pas totalement achevé, il vampirise son créateur le jour et la nuit. Un tel projet nécessite énormément de patience et d’abnégation, si l’on n’est pas passionné et un peu masochiste sur les bords, il est inutile de s’aventurer dans un projet comme celui-ci… je n’ai pas autoproduit Natura par choix, mais par dépit (face aux refus des différentes sociétés de prod). Néanmoins, je ne le regrette pas, « le système D » m’ayant toujours réussi dans la fiction (c’est mon mode naturel de fonctionnement), cela m’offre beaucoup de liberté. 

Comment parvenez-vous à rivaliser avec des films produits ?

C’est un modeste film, je ne peux pas rivaliser, néanmoins je crois que Natura est une œuvre assez universelle, où l’absence de dialogue, la magnificence de la nature et la simplicité du récit, peuvent permettre de toucher les spectateurs. C’est évidemment difficile de concurrencer des films produits dont le budget est de plusieurs millions, lorsque le mien a coûté seulement 30 000 € (et qu’il fut tourné en 15 jours), mais grâce notamment aux sublimes décors vosgiens et à l’aspect artisanal du film, je peux déjà me singulariser un minimum. Pour ma part, les décors d’un film sont fondamentaux. C’est l’identité de l’œuvre, un élément qui infuse tout un métrage en profondeur. D’ailleurs, pour mon précédent film (un court-métrage intitulé Soleil Rouge), j’avais également tourné dans ces fameux paysages vosgiens (mon premier coup de cœur pour la région). Ensuite, la B.O très inspirée de Natura porte le film vers le haut et peut rivaliser avec les compo conventionnelles des autres longs. J’ai mon propre compositeur (Cyriak), qui collabore essentiellement avec moi (en fiction) depuis déjà 17 ans, composant la bande originale de mes 4 derniers projets. Ses musiques atmosphériques en font un élément essentiel du film (et de mon univers artistique en général). Le travail sur le design sonore et le mixage (produit par David Michriki) est également exceptionnel. C’est le troisième métrage de fiction sur lequel je collabore avec lui, et il parvient à chaque fois à recréer tout un univers à part entière juste avec le son. La sublime photographie composée par Pierre Pascalie (accompagné à l’image de Valentin Deluy et Jason Boussioux) pourrait également séduire le spectateur, ainsi que le charme atypique et le charisme de Manya Muse, la protagoniste du film.

La distribution du film n’est pas plus compliquée ?

Plus compliquée, certes. Beaucoup de frilosités en France, un peu moins à l’étranger. J’ai néanmoins reçu plusieurs propositions. Je suis également allé au festival de Cannes, cette année (au Marché du Film) afin d’y présenter Natura. Les retours ont été positifs, et suite aux demandes de plusieurs distributeurs intéressés par le métrage, je suis actuellement en train de rallonger le film de 10 minutes supplémentaires, pour atteindre une durée (plus commerciale) de 1h10. J’ai ce qu’il faut en stock en matière de rushs. Cette version sera prête à la rentrée !

Quel est votre prochain projet ?

Je suis actuellement en pré-production de mon second long-métrage intitulé provisoirement « Les Bois ». Un thriller à l’atmosphère moite et paranoïaque, avec un brin d’érotisme, se déroulant au printemps 1984, dans une petite bourgade forestière, à l’intérieur d’une maison isolée près des bois. L’intrigue est construite en huis clos sur fond de pollution chimique d’une forêt locale, par une usine controversée s’octroyant tous les pouvoirs dans la région, et de la lente descente aux enfers du protagoniste principal, un bûcheron au début de la cinquantaine, au bord de la dépression, qui ressent progressivement de troublants et mystérieux changements en lui, aussi bien psychologiques que physiologiques, et dont les relations tumultueuses avec sa très jolie femme, vont sérieusement se dégrader tout au long du récit… jusqu’à le faire sombrer dans la pire folie barbare !

Le tournage est prévu en 2028, si tout va bien (cette fois-ci, ce ne seront pas mes économies personnelles). La production de ce projet nécessitera 300 000 €, même si nous aimerions atteindre 1,5 million (dans l’idéal). C’est un scénario que j’ai écrit au début des années 2010. J’ai également 3 autres projets de longs-métrages indépendants en tant qu’auteur et réalisateur (déjà plus ou moins écrits), que j’aimerais tourner à mon rythme, dans les décennies à venir.

Et parallèlement à ce projet, je suis en train de monter une structure qui permettra aux petits cinéastes indépendants (ayant des économies de côté) et qui se font éconduire par les sociétés de prod, d’avoir l’opportunité de réaliser leurs longs (s’ils ont au moins de 40 000 € et que les projets ne sont pas trop complexes). Avec cette somme, je pourrais tout prendre en charge (grâce à mon expérience et au réseau que je me suis construit), notamment le développement de leurs films, l’écriture via des scénaristes pro, la pré-prod, le casting, la constitution de l’équipe technique, le matériel audiovisuel et tout le reste jusqu’à la fin de la post-prod (sans m’occuper de la distribution). C’est pour moi le prolongement naturel de ce que je fais déjà un peu avec ma boite de location pour mes clients. J’ai un tournage en ce sens, prévu l’année prochaine en Tunisie.