THE INTERVIEW

September, 2025

CHOUKRI ROUHA

DIRECTORS OF LE TOMBEAU DES ANGES

 

Choukri, parlez-nous un peu de vous. D’où vient votre envie de devenir réalisateur ?

Depuis l’enfance, le cinéma est pour moi un refuge et un langage universel. J’ai grandi dans une famille où les histoires, les récits oraux et les émotions avaient une place centrale. Mes grands frères étaient passionnés de cinéma américains des années 30-40-50-60, c’est grâce à leur passion que j’ai découvert Buster Keaton, Humphray Bogard, Gary Cooper, Greta Garbo, etc. J’ai aimé observer ces personnages extraordinaires et étant un enfant agité, je suis passé à l’action en voulant mettre en valeur des personnages singuliers et charismatiques. Mon envie de réaliser vient du besoin de partager des histoires profondément humaines, qui interrogent, qui réconfortent, qui bousculent aussi parfois.

Quel est votre parcours ?

J’ai été formé comme acteur au Cours Florent, ce qui m’a permis d’appréhender le jeu, les émotions et la direction d’acteurs de l’intérieur. Ensuite, je me suis tourné vers l’écriture où j’ai eu la chance d’obtenir plusieurs prix dont le Prix Orange Beaumarchais et Canal+ Talents. J’ai réalisé des publicités et des clips vidéo, puis en tant que producteur, j’ai remporté plusieurs distinctions avec le court-métrage Sacrée Cœur. Aujourd’hui, je poursuis mon chemin de réalisateur avec des films plus personnels comme Mothers.

Quelles étaient vos références pour « Mothers » ?

Je me suis beaucoup inspiré de mes propres expériences hospitalières devenus malheureusement familières. Mais sur le plan cinématographique, j’ai été marqué par des films comme Memento de Christopher Nolan ou La chambre du fils de Nanni Moretti, qui abordent des thèmes intimes avec pudeur. J’ai aussi puisé dans la sensibilité de réalisateurs comme Asghar Farhadi, qui sait mettre en scène les dilemmes moraux sans manichéisme.

Vous avez remporté un prix et une mention aux RED Movie Awards, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est un immense encouragement. Obtenir une reconnaissance de la part du jury de RED Movie Awards donne de la force pour continuer à raconter des histoires intimes. Cela prouve aussi que le sujet de Mothers, bien que très personnel et ancré en France, touche un public bien au-delà des frontières. La mention honorable reçue par Catherine BADET dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle me ravi car l’histoire se répète pour elle avec son prix remporté dans cette même catégorie pour le film à Los Angeles. Cela confirme tout le talent d’interprétation, l’expérience et l’énergie qu’elle m’a fait l’honneur d’offrir sur cette fiction. Son rôle était précieux et a nécessité une solide préparation. Quant au prix d’interprétation de Daniel NJO LOBÉ remporté dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle dans Mothers, c’est simplement magique. Son humour, son énergie, sa capacité à fédérer et son professionnalisme sont indéniables et je suis fier de ce prix largement mérité.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?

J’ai travaillé dans une grande proximité avec eux, en répétant, mais surtout en échangeant beaucoup sur leur propre rapport au deuil ou à la famille. Bien que je savais ce que je voulais, j’ai été très attentif aux propositions des acteurs. J’ai essayé de privilégier une caméra discrète mais esthétique, souvent portée à l’épaule, pour capter au mieux les nuances de leurs émotions.

Les thématiques de la perte, du deuil et de la gratitude sont centrales dans le film. Comment les avez-vous abordées pour toucher le spectateur sans tomber dans le mélodrame ?

Je voulais éviter toute surenchère émotionnelle. J’ai préféré suggérer plutôt que montrer, filmer les silences, les regards, les gestes simples. Le deuil, dans la vraie vie, est souvent fait de pudeur, de douleurs sourdes, de dignité, d’instant suspendus, plus que de grands cris. C’est cette vérité que j’ai voulu restituer en amenant une justesse dans la contention/libération des émotions des personnages. Cet aspect a été central dès la phase d’écriture menée avec mon co-auteur Grégory Verdat et jusqu’au montage et aux choix du sound design. Dans les choix significatifs la caractérisation du personnage de Demba, interprété par l’excellent Daniel Njo Lobé, a permis de contrebalancer la dureté de l’histoire et de toucher, je l’espère, les spectateurs au bon moment. L’interprétation du rôle de Sabira par l’excellente Karina Testa a été cruciale. Je la remercie encore du fond du cœur pour avoir accepté de m’accompagner dans cette aventure, nous avoir apporté son expérience dans l’interprétation de son personnage et nous délivrer des émotions si puissantes qu’on les ressentait déjà avec toute l’équipe sur le tournage. C’est un souvenir inoubliable.

Les deux mères viennent de milieux culturels différents (algérien et juif). Pourquoi avoir choisi cette double perspective et que cherchiez-vous à montrer à travers ce contraste ?

Je suis très touché par la situation géopolitique au moyen orient, j’ai voulu implicitement se faire rencontrer deux peuples que certains veulent éloigner mais qui se ressemblent tant dans ce qu’ils ont de plus essentiel. J’ai voulu montrer que nous avons besoin des uns et des autres pour vivre, que dans le deuil, la douleur est la même pour tout le monde. Pour moi, le cinéma est une occasion de réunir. Ces deux femmes qui, à la base et suivant certaines règles, ne devaient jamais se rencontrer on eu besoin de l’une de l’autre pour dépasser ce qu’il leur arrive. Elles viennent d’une classe sociale, d’horizons culturels et religieux différents, mais face à la perte ou à la survie d’un enfant, elles se rejoignent dans une humanité commune. Je voulais montrer que la douleur, l’amour et l’espérance ne connaissent pas de frontières. Ces deux mères courage portent à deux un flambeau de vie.

Quelle réaction espérez-vous susciter chez le spectateur à la fin du film ? Voulez-vous qu’il ressorte avec une question morale, émotionnelle ou les deux ?

Les deux. C’est une réflexion autant morale qu’émotionnelle. Je souhaite que le spectateur soit ému, bien sûr, mais aussi qu’il se questionne : qu’aurais-je fait à la place de Sabira ? Qu’est-ce que cela signifie de porter dans son corps le cœur d’un autre ? Quelle est la vraie signification pour soi et pour l’autre d’un don ?

Quel est votre prochain projet ?

Je développe actuellement un long-métrage avec mon co-scénariste Grégory Verdat, qui explore à nouveau des thématiques intimes, autour de la mémoire, de la transmission et de la résilience, En parallèle, je continue à collaborer avec d’autres auteurs et autrices, producteurs et productrices, avec toujours la même volonté : raconter des histoires humaines qui dépassent toutes les frontières culturelles, religieuses et sociales au sein desquelles les émotions rassemblent.